Le jour commence à poindre vers 4h15. Une tâche sombre à l'horizon apparaît tel un gros nuage de pluie. Mais le nuage de pluie reste fixe et ne semble pas vouloir se dissiper. La silhouette se précise un petit quart d'heure plus tard. Nous sommes à Crozet.
Nous profitons du petit déjeuner de l'équipage et des Crozétiens. Après tous ces jours en mer sans voir la moindre once de terre, il est difficile de s'imaginer que nous allions véritablement en un endroit précis. Sur le pont, l'air est humide et glacé. J'enfile une veste, un surpantalon et des gants.
La vue est à couper le souffle. Il semble impossible de décrire les nuances de vert et de beige qui couvrent les flancs des collines de l'Île de la Possession. Rien qu'elle fait six fois la superficie d'Ams.
Thomas me tape sur l'épaule et me désigne l'océan à quelques mètres du bateau. Que suis-je sensée voir ? Je prends donc mes jumelles et part à la recherche d'indices de la présence d'un animal. Je fais le point et parcoure la zone. Tout à coup, des sursauts dans l'écume m'indiquent que des créatures remontent régulièrement à la surface. Je ne distingue pas immédiatement leurs couleurs
Je n'en crois pas mes yeux et hoquette de bonheur. Ce sont des royaux. De splendides manchots royaux. En ban d'une dizaine, ils pêchent tout près du bateau. Sortant juste la tête et une partie de l'arrière de leur corps, on pourrait croire à des canards, sans la forme caractéristique de leur tête et la vaste tache orange sur leur cou.
Certains nous accompagnent même au déjeuner. Par le hublot, on peut en apercevoir parfois près de quinze, sortant, curieux, la tête de l'eau pour observer le bateau et ses remous.
L'arrivée au large de la base, à la baie du Marin, survient vers 11h. Nous jetons l'ancre à une centaine de mètres de la base. Au loin, on aperçoit la manchotière et la cabane de manipulation. On en perçoit même, selon le sens du vent, l'odeur très forte. Au sommet de la colline, la base Alfred Faure nous contemple fièrement et offre à notre regard ses couleurs pastels.
Les hivernants descendent en hélico jusqu'à la base à l'heure du déjeuner. Nous disons au revoir à nos camarades, au cas où nous ne pourrions pas descendre plus tard. A tous, je souhaite un bon hivernage.
L'après-midi est calme. Le roulis lent mais ample accompagne les premiers héliportages de l'OP. En fin de soirée, nous bougeons à la Pérouse pour une manipulation des ornithologues de la base. La soirée se finit tôt, en raison de la fatigue accumulée.